L’Europe, l’améliorer et la défendre
Après avoir été l’outil d’une paix qui dure depuis plus de 70 ans, L’Europe a soutenu la prospérité de ses membres et les a protégés des effets les plus dévastateurs de la globalisation et de la financiarisation de l’économie mondiale. Ses défauts bien réels sont maintenant reconnus et doivent être corrigés mais l’idée européenne, après avoir été bâtie sur un rêve de paix et de prospérité, doit encore être défendue car elle est un outil indispensable pour relever une bonne partie des grands défis mondiaux qui s’imposent aujourd’hui aux pays européens.
Pour défendre la construction européenne et notre appartenance à la plus récente union politique d’États au monde, on commence souvent par rappeler que la civilisation européenne était proche de la destruction totale à l’issue de la deuxième guerre mondiale. La construction européenne a en effet permis d’unir le destin de nations qui s’affrontaient régulièrement et de construire une paix durable. Mais aujourd’hui, l’acquis de la paix ne fait plus recette, pas plus que l’idée qu’il pourrait bien être remis en question si l’on commençait à déconstruire l’Europe.
Le Brexit, révélateur d’une Europe plus unie que ne nous ne le pensions
Au moment où les britanniques préparent leur sortie de l’Union européenne dans la confusion, il est utile de rappeler que ce pays s’est toujours tenu en marge de l’Europe. Après une entrée tardive dans la Communauté en 1973, il a continué de baser une grande part de son développement économique sur des relations commerciales privilégiées avec ses anciennes colonies ainsi qu’avec les États-Unis d’Amérique, dont il a par ailleurs largement facilité les manœuvres constantes pour freiner le développement politique de l’Europe. Au sein de l’Union, le Royaume-Uni est demeuré ce qu’il était, un pays un peu trop nationaliste pour être compatible avec un projet politique qui consiste à mettre dans un pot commun une partie de nos compétences pour les partager.
Ce qui n’a pas été suffisamment souligné dans le feuilleton du Brexit, c’est à quel point l’Europe s’est révélée être à cette occasion une ensemble politique bien plus uni que ne le pensaient ses membres eux-mêmes. Les tentatives de la diplomatie britannique de désunir l’Europe afin de gagner un accord de sortie avantageux ont toutes échoué. Dans cette épreuve, les rares pays européens qui observaient la voie d’une sortie de l’Union avec gourmandise se sont rapidement ravisés lorsqu’ils ont constaté qu’il ne serait jamais question d’un accord de divorce qui ne maintiendrait pas simultanément l’accès au marché intérieur et la libre circulation des citoyens européens. L’opposition de l’Irlande du nord et de l’Ecosse au Brexit montre quant à elle un état de division qui, s’il est préoccupant pour le Royaume-Uni, ouvrira sans doute des perspectives positives pour l’Europe, notamment en cas de Hard Brexit.
Au-delà de ce que coûtera à chaque pays européen et à l’Union elle-même la sortie des britanniques, nous avons collectivement gagné dans cette épreuve une force plus grande, une réaffirmation de nos valeurs communes et, bonne nouvelle, un regard inquiet des grandes puissances économiques sur cette solidité dans l’épreuve.
Une Europe imparfaite mais au bilan positif
L’Europe telle que nous la connaissons est bien imparfaite mais là aussi une forme de consensus commence à apparaître entre les États et au sein d’une majorité des citoyens européens eux-mêmes pour renforcer la démocratie au sein des institutions européennes, aller plus loin dans l’union politique, se défaire de ses lourdeurs administratives, remettre en selle le principe de subsidiarité qui doit assurer que l’Europe ne décide que sur les sujets où elle est plus efficace que les États. Les souverainistes, de gauche comme de droite, ont tort. C’est de l’intérieur qu’il faut améliorer l’Europe, non pas en sortant des traités, mais en en construisant de nouveaux.
Ce qui fonctionne, ce qui a été réalisé grâce à l’Union européenne, ressemble aux trains qui arrivent à l’heure, on n’en parle pas. Pourtant, la politique agricole commune, l’explosion économique de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande ou plus récemment d’un ensemble de pays de l’ex bloc soviétique, sont bien des succès directement issus des politiques européennes. Et ils ne sont pas les seuls, à l’image de la monnaie unique dont même les plus ardents détracteurs ont bien été obligés d’admettre près de 20 ans après son installation que ses inconvénients sont sans commune mesure avec la stabilité qu’elle a permis d’installer face aux tempêtes économiques et financières mondiales, y compris dans les pays européens qui ne l’ont pas adoptée.
Les défis européens de demain
Ce qui apparaît maintenant de manière claire et consensuelle, c’est qu’il faut donner à l’Europe de nouveaux horizons, l’amener à devenir l’instrument de notre réponse collective aux grands défis que constituent la survie écologique de la planète, la globalisation des échanges, l’accélération des phénomènes migratoires, la financiarisation excessive de l’économie, le creusement des inégalités économiques, sociales et spatiales. Sur toutes ces questions, l’Europe peut avoir une approche et des solutions singulières car les États qui la composent portent des politiques souvent très proches, et en tout cas très éloignées de celles qui sont mises en œuvre au cœur d’autres grandes puissances économiques comme les États-Unis ou la Chine.
Ces défis, ces enjeux, tout le monde reconnaît leur importance. Ceux qui mentent disent qu’il serait possible de les relever avec succès dans le cadre d’États repliés derrières leurs frontières. Les mêmes reconnaissent pourtant que la puissance et l’influence politique reposent d’abord sur la puissance économique.
L’Europe était un rêve de paix, elle constitue aujourd’hui la seule chance pour les pays européens de peser dans l’équilibre politique mondial, d’y faire entendre leur voix et de protéger les citoyens européens de modèles économiques, sociaux et politiques agressifs qui ont tous une volonté hégémonique. Il faut améliorer l’Europe et son fonctionnement, mais c’est de l’intérieur qu’il faut la corriger car seuls nous ne sommes rien dans cette guerre sans canons mais aux effets dévastateurs. L’Union européenne, elle, est la deuxième puissance économique mondiale.
Note de Antony Sette et Laurent Lhardit – 29 mars 2019